De l’anthropocentrisme à l’écocentrisme
Un nouveau défi s’offre à l’humanité toute entière : celui de changer ses perceptions sur la planète qui l’accueille. Tout un programme...
Depuis quelques décennies, chose très récente dans l’histoire de la Terre, une espèce a sciemment pris la mainmise sur l’ensemble de l’héritage naturel. Refusant le partage avec le reste des vivants, elle s’est lancé dans le culte d’un mode de vie destructeur permettant de répondre à des jouissances immédiates, négligeant sa survie à long terme. Elle a inventé un nouveau vocable lui permettant d’apaiser sa conscience meurtrie sous des apparences rationnelles : « ressources » naturelles, « services écosystémiques », objectifs de « productivité » et de « rendement » ... Mais elle commence à se réveiller de cet effronté fantasme de s’être cru seule dignitaire d’une légitimité d’existence aux dépens des autres
Une prise de conscience accompagnée d’un changement de vocabulaire
La prise en compte exclusive des intérêts de l’homme dans la sphère morale se nomme anthropocentrisme. Apparu de concert avec le concept aristotélicien de géocentrisme (plaçant la Terre au centre de l’Univers), il a perduré au fil des siècles. Soutenu par l’idée commune à divers courants religieux qu’un Créateur aurait placé l’homme « maître et détenteur de la nature » (selon l’expression de Descartes), l’anthropocentrisme a permis la négation constante des intérêts des autres formes de vie. A l’inverse, la notion d’antispécisme propose de ne pas établir de distinction entre espèces sur des critères moraux. Elle peut être étendue à l’échelle des individus et non plus des espèces. Dans ce cas, l’inclusion de l’ensemble des êtres vivants dans les considérations d’ordre éthique constitue le biocentrisme (Taylor, 1986). Enfin, le sujet moral peut être envisagé au niveau d’un écosystème, prenant en compte l’ensemble résultant des interactions entre les vivants à une échelle spatiale donnée : il s’agit de l’écocentrisme (Callicott, 1989).
Les conséquences de l’anthropocentrisme
S’étant octroyé la priorité sur le reste du vivant, notre espèce a développé un mode de vie extrêmement énergivore et utilisateur d’espace. Nous exerçons une pression telle sur notre environnement que nous sommes à l’aune de changements climatiques majeurs. Ces modifications s’accompagnent de la 5e crise majeure d’extinctions biologiques à des taux d’extinction d’espèces accélérés, associés à la destruction des écosystèmes : un véritable écocide, peu visible, mais généralisé. Ainsi, de nouvelles menaces pèsent sur le vivant. Dans le passé, les paysages offraient des niches écologiques variées, permettant la spéciation et l’apparition de nouvelles espèces. Or l’intensification des pratiques agricoles, l’extension périurbaine et la dégradation critique de certains écosystèmes (désertification, acidification...) ont réduit la diversité des paysages et des interactions possibles entre espèces. Tout ceci a entraîné une érosion de biodiversité très forte, menant à des écocides à grande échelle. On estime que 60% des écosystèmes mondiaux ont subi de sévères pertes, et que le rythme d’extinction des espèces est entre 100 et 1000 fois supérieur à un rythme ne prenant pas compte l’impact de l’homme sur la planète (Millenium Ecosystem Assessment, 2005). On estime que l’utilisation des terres a diminué en moyenne la biodiversité de 14% et l’abondance des êtres vivants de 11% (Newbolt et al., 2015). L’anthropocentrisme a également soutenu l’avènement d’une société de consommation : en envisageant la planète comme une source de profit, et en occultant les questionnements sur la déplétion des ressources naturelles, nous en sommes arrivés à décréter que l’économie est plus importante que l’écologie, satisfaisant les intérêts des quelques nantis qui s’accaparent les richesses de la planète.
Vers une éthique du respect de la nature
Le biocentrisme nous propose une nouvelle éthique de vie : le partage de la terre avec les autres vivants. Nous commençons à redécouvrir des principes fondamentaux qui régissent la vie depuis des millions d’années : les processus de coopération et d’interaction, bien plus nombreux que ceux de lutte égoïste pour la survie et de compétition. A l’opposé de l’anthropocentrisme, où la valeur des êtres vivants et des écosystèmes se mesure en fonction de l’intérêt que l’homme peut en tirer, dans le biocentrisme, toutes les formes de vie héritent d’une valeur morale intrinsèque. Il est également temps d’admettre que nous ne sommes pas des éléments détachés et indépendants, mais que notre propre survie dépend intimement de la santé des écosystèmes de la planète. Réapprendre à voir la nature comme un système de collaborations et d’interactions qui nous nourrit et nous fait grandir, voilà un changement de mentalité ambitieux mais ô combien salutaire pour l’avenir ...
Références :
Callicott J.B. (1989) In defense of the land ethics : essays in environmental philosophy. State University of New York Press, U.S.A.
Millenium Ecosystem Assessment (2005) Ecosystems and human well-being : synthesis. Washington D.C. Island Press, U.S.A.
Newbold T. et al. (2015) Global effects of land use on local terrestrial biodiversity. Nature, 520 : 45-50.
Taylor P. (1986) Respect for nature : a theory of environmental ethics. Princeton University Press, U.S.A.
,
date de publication : 14 mars 2016,
date de dernière mise à jour : 7 février 2016
Soutenez l'association en partageant cette page autour de vous :